Journal pour rien dire

" L'éducation d'un peuple se juge d'après son maintien dans la rue. Où tu verras la grossièreté dans la rue, tu es sûr de trouver la grossièreté dans les maisons. "

(Edmondo de Amicis)

8-9-2000

J'ai le don parfois de me mettre dans des situations soit gênantes, embarrassantes et même difficiles seulement qu'en m'ouvrant la trappe un peu trop.

Parce que la nature ne m'a pas doté d'un gabarit imposant, j'ai toujours eu une aversion pour la violence en tant que solution pour régler les problèmes causés par les "bullies". J'ai plutôt choisi de me servir de la parole pour me dépêtrer de certaines situations. Avec le temps et un vocabulaire plus garni j'en suis arrivé à me servir des mots comme d'une arme. La plupart du temps ça ne prête pas à conséquences. Hélas! il y a des fois où ma parole dépasse ma pensée ce qui me mets dans le pétrin.

Exemple ce soir. H. me demande si je veux bien arrêter chez sa mère car elle veut son aide pour la rénovation à son appartement. Je me stationne près du trottoir de gauche pendant qu'elle monte la chercher. Ici on est au coeur du quartier Hochelaga-Maisonneuve où, n'en déplaise à certaines personnes, il se trouve une grande concentration de racisme et d'intolérance, la pauvreté et le manque d'éducation n'aidant en rien.

Or, sur le trottoir une dame d'un certain âge qui jasait avec un vieux monsieur, est en plein réquisitoire contre les "importés" parasiteurs.

« Moi quand j'appelle un taxi j'exige un chauffeur blanc, j'en veux pas de "nègs". »

Je l'interpelle:

« Vous n'avez pas le droit de refuser un chauffeur de taxi sous prétexte qu'il est noir! »

« Moi, monsieur, je payes des taxes qui s'en vont aider les noirs à se monter des compagnies de taxi et je ne trouves pas ça normal... Si je veux un chauffeur blanc c'est mon droit... »

Ignorance crasse...raisonnement boiteux...

« Vous devez être newfie de croire que j'ai pas le droit...»

Pendant ce temps H., sa soeur et sa mère m'ont rejoint à ma voiture, elles n'ont pas entendue le début de cette conversation. C'est à ce moment que la mère d'H. entend la dernière phrase et comme elle avait déjà des crottes sur le coeur vis-à-vis de cette dame, sort de ses gonds et commence à l'invectiver. Ça n'a pas pris de temps avant qu'elles n'en viennent aux coups... la soeur d'H. s'est mise de la partie aussi. Prendre ma défense n'a été qu'un prétexte à tout ce charivari.

«Vous n'avez pas le droit de traiter nos chums de twits ou de newfies»

Petit chassé-croisé sur le trottoir entres ces trois femmes sur fond de pleurs des enfants de la voisine et de la nièce d'H. Un voisin tente de s'interposer en sommant la dame de passer son chemin, que tout ça effrayait les enfants, " Regardez-les pleurer!" Là-dessus H. tente de calmer sa mère et sa soeur tout en consolant sa nièce, H. qui me demande de remonter ma vitre en vitesse pour décourager la dame de m'invectiver.

Se penchant à ma fenêtre, tout bas:

« Tu vois ce que je te disais à propos de ma famille? »

« Shut! Ce que tu ne sais pas c'est que c'est moi qui ai commencé cette foire, vous êtes arrivées après que cela aie commencé. »

« C'est pas grave! »

Moi, tout le temps que ça a duré, je suis assis peinard en voyant les choses dégénérer. Malgré les demandes pressantes d'H. à l'endroit de sa mère pour qu'elle entre dans la voiture "qu'on parte OPC" ça a continué quelques minutes de plus.

Toute cette scène avait un style Jerry Springer. La vraisemblance en bonus.

Pendant la dernière portion du trajet sa mère en remet.

« Non mais elle, elle m'a cherché. Ça fait deux mois que je l'entends dire des conneries quand elle placote avec le voisin d'en bas. Je ne peux m'empêcher d'entendre. Quand elle parle de la petite (sa petite fille) elle dit "La p'tite criss en haut". Pis moi elle me traite de putain...Non mais!! Elle dit en plus m'avoir vue faire le trottoir pas plus tard que la semaine dernière... La conne... En plus elle blaste le nouveau voisin gay, tsé, une cible facile pour du monde comme elle.»

Je me suis même dis "Pauvre madame", en la regardant s'éloigner dans mon rétroviseur. Mais peut-être aussi qu'elle a une réputation de cancanneuse dans le quartier et que ce qui vient de lui arriver elle l'avait chercher.

Fait cocasse arrivé à destination chez H. Comme je laisse mes effets personnels sur la banquette arrière sa mère, en sortant de voiture, ramasse les sacs qu'elle avait déposé mais s'empare aussi des miens. Elle se confond en excuses quand je lui fais remarquer et H. de rajouter:

« C'est parce que vois-tu Daniel, quand je lui apporte des livres je les mets dans des sacs semblables alors elle les a prises pour les siens. »

La première portion du trajet à partir du boulot c'est fait avec une passagère supplémentaire à qui H. racontait les déboires de son enfance en familles d'acceuil. Un séjour dans une famille en particulier où elle a subit diverses humiliations, sévices et tortures morales.

On l'obligeait à se promener nue dans la maison ainsi que les autres enfants gardés là.

« Tsé, la grosse poufiasse quand elle s'asseyait nue pour manger une patte sur le rebord de table et l'autre pendant à terre nous montrant sa grosse plotte ouverte et dégueu avec les enfants qui n'avaient pas le choix de la regarder car on ne mangeait que sur le comptoir de cuisine. Pis l'eau du bain qui servait plusieurs fois. Comme je savais que j'étais la dernière à le prendre et que d'autres avant moi avaient pissés dedans je m'aspergeait très rapidement. Mais quand la bonne femme doutait que je me soit réellement lavé elle me replongeait dans la baignoire et s'activait à me frotter et savonner vigoureusement. Au savonnage plus de force était employé au niveau de ma noune mais comme elle ne rincait pas là ça me laissait avec des démangeaisons douloureuses.

Une autre fois, un matin en partant pour l'école avec des amies je voulais leur montrer le chien du voisin mais comme je m'approche trop il me mord à la lèvre. Ça se met à pisser le sang tu comprends mais je ne voulais surtout pas retourner sur mes pas alors je suis partie en courant vers l'école mais comme y'a un policier qui me voit toute sanguinolante il part à me courir après, moi je panique et j'essaie de le semer mais il me rattrappe et me ramène à la maison. Là il demande à ma "gardienne" de m'emmener à l'hôpital. Mais elle ne le fait pas. À la place elle me fait passer l'après-midi dehors au soleil.

« Ah! Ah!, qu'elle me fait, t'as voulu frencher le chien hein! ma cochonne!!! »

Au moment du souper elle m'asseoit à table, une première! et elle me force à manger une grosse assiettée de spagetti, toujours avec ma lèvre en lambeau. »

Tortures morales? Exemple.

« J'ai passé trois ans dans cette famille avec ma jeune soeur et à tout bout de champs on me donnait à entendre que ma mère ne reviendrait jamais nous reprendre. J'ai appris plus tard que, au contraire, ma mère téléphonait souvent pour avoir de nos nouvelles mais qu'elle se faisait toujours dire qu'on était absentes, ce qui était faux car souvent elle entendait nos voix à l'arrière-plan.

Quand enfin est arrivé la journée de délivrance tant attendue les émotions ont étés tellement fortes qu'on ne voulait plus quitter la famille d'acceuil, "brainwashées" comme on l'était on n'était plus certaines de vouloir retourner avec maman. »

Ça s'explique un peu quand on pense qu'elles se sont fait dire tout ce temps que maman ne viendra jamais les reprendre...

Oh! H. a bien souvent voulu leur mort à ces "parents" d'adoption. De même qu'elle aurait pu les dénoncer plus tard à la DPJ.

«...Mais ça aurait servi à quoi je te le demande? Au pire ils n'auraient pas eus la punition pour leurs actes mais en plus il m'aurait fallu revivre, pendant le procès, toutes les souffrances et abus de toutes sortes que j'ai subis! »

Elle peut bien avoir des idées noires comme adulte!! Avec un vécu comme celui-là!! J'en connaissais déjà de petits épisodes de son enfance mais ce soir, avec les scènes qu'elle a décrites et dont j'en ai retranscris que quelques uns, ( Je sais qu'elle a d'autres horreurs en banque ) il y avait de quoi me donner des frissons. Pas que j'en ai été complètement surpris car on est régulièrement bombardé de faits semblables se déroulant ailleurs en province ou dans le monde mais le fait que c'était narré par une personne proche de moi y apportait une nouvelle dimension.

À l'entendre comme ça revenir sur son passé avec un certain éloignement je me dis que c'est sa façon à elle de cautériser des plaies pas tout à fait guéries. Une autre personne, moins forte de caractère, aurait sûrement déjà songé au suicide. Mais ni aujourd'hui ni les fois précédentes où elle me contait ses malheurs, elle n'a jamais dit ni sous-entendu qu'elle y avait songé.

En dernier lieu ce soir en refermant la portière elle me dis à mi-voix qu'elle va tenter de m'en dire plus via e-mail ou ICQ.

« Peut-être pas ce soir. » Me dit-elle en me montrant sa mère qui l'attendait à la porte de son logement.