Journal pour rien dire

" On finirait par devenir fou, ou par mourir, si on ne pouvait pas pleurer. " ( Guy de Maupassant )

20-9-2000

Rendu visite Lundi soir à I., une amie de longue date. J'ai dû la remettre plusieurs fois pour diverses raisons, la principale étant que je ne voulais pas la déranger les soirs de semaine, occupée comme elle est durant le jour à tenir une garderie en milieu familial. Elle-même ayant deux jeunes enfants en bas âge, cinq et trois ans.

I. je la connais depuis qu'elle est haute comme trois pommes. Elle habitait encore chez ses parents, à deux portes de chez moi, jusqu'à il y a huit ans. C'est dire que je l'ai littéralement vu grandir.

Il y a environ vingt ans les gamins de ma rue se retrouvaient régulièrement devant chez moi. Ayant la seule moto de tout le voisinage ça captait l'attention des plus âgés d'entre eux qui s'amenaient avec frères et soeur. I., elle, suivait ses copines qui suivaient elles-mêmes les garçons qu'elles reluquaient.

Je revois encore I. se pointant seule alors que je lisais sur la galerie le soir après que les autres soient partis et, en toute curiosité me poser des questions à propos de tout et de rien, du livre que je lisais, sur la musique que j'écoutais sur la moto quand je partais en promenade, etc. Ses propos et son sérieux à ce moment tranchaient beaucoup à comparer aux conversations habituelles qu'elle tenait en compagnie de ses amies.

Le temps passe. À 14 ans elle se fait un petit ami avec lequel elle passe par toute la gamme des émotions... Petit ami jaloux qui va même jusqu'à lui interdire de venir me faire la jasette. Elle obéit car elle ne veut pas lui déplaire.( Mais qu'avait-il à craindre de ma part son Jules? )

Au début de la vingtaine elle vit une rupture avec ce garçon qui le prend très mal. Tellement mal qu'elle obtient une injonction pour lui interdire de la harceler. Injonction brisée quand il décide de se pointer chez les parents d'I. où elle est retournée habiter. Mal lui en a prit car j'ai été témoin de sa frasque. À ce moment je n'étais pas au courant de l'ordre de la cour lui interdisant tout contact avec elle. Je l'apprends quelques jours plus tard quand un huissier me remet un avis de me présenter à la cour comme témoin de l'incident.

I. :

« Je m'excuse Daniel d'avoir à t'entraîner là dedans!!! »

« Tu n'avais pas le choix. Si je suis l'unique témoin de son infraction il me faut y aller. »

La date de la comparution est pour dans un mois.

Entretemps elle s'était fait un nouvel ami depuis trois mois. Un soir de semaine, je suis entré à la maison depuis quelques minutes quand le téléphone sonne. C'est I. La voix tremblante elle me demande d'aller la chercher là où elle se trouve, c'est-à-dire chez son nouveau copain, elle dit qu'elle veut rentrer à la maison. Je ne me pose pas de questions et vais la retrouver à l'adresse qu'elle m'indique. Étrange! me dis-je en raccrochant, elle possède une petite voiture! Peut-être est-elle en panne?

J'arrive à destination, à Anjou, sur une rue où s'alignent des dizaines de blocs appartements semblables. Elle monte et éclate en sanglots.

« Daniel...C.(son copain) s'est suicidé ce matin...il s'est pendu dans la cave... »

« ... »

Ouf!!!

Qu'est-ce que l'on doit dire dans une occasion comme celle-là??? Pas grand chose!!!

...

Ses parents l'attendent sur le seuil. Son père, après quelques minutes, s'apercevant qu'il ne pouvait pas faire grand chose, laisse I. aux soins de sa mère et me demande de l'accompagner à Anjou pour qu'il puisse ramener la voiture d'I.

Pendant le trajet il me confie:

« Quand j'ai appris la nouvelle ce matin je n'ai pas pris de chances et j'ai sorti de la maison toutes mes armes de poings. Je connais ma fille mais je ne veux pas que, par désespoir, elle mette la main sur une de ces armes et qu'elle commette l'irréparable elle-même... »

Cette conversation avec son père, je ne lui en ai jamais parlé à I. Jusqu'à lundi elle n'en savait rien.

Le lendemain de cette journée sombre, j'avais un accident de voiture.

Oh! Rien de bien grave mais ça m'a empêché d'être présent à ses côtés dans les jours qui ont suivis.

Mais une autre brique allait être jeté dans la mare quelques jours plus tard. En effet la semaine suivante se déroulait la comparution en cour de son ex en rapport avec son bris d'un ordre de cour. J'accompagne I., que je devine plus ou moins remise de ses émotions. Attente interminable dans les couloirs du palais de justice. À l'ouverture de la cause, coup de théâtre. L'avocat de l'accusé, ayant été mis au courant des malheurs d'I., en fait par à la cour!!! Comme tactique de déstabilisation ça a réussi!!! I. a eue toute les misères du monde à se composer un visage serein à la barre des témoins. Ajournement pour cause d'heure tardive...

J'ai été rappelé comme témoin à une date ultérieure. De même qu'I. évidemment. Cette fois-çi, la cause a été réglée hors-cour...En fait, il y a eu tractations entre les avocats dans les couloirs derrière le tribunal. Je n'ai jamais été appelé à témoigner.

...

Par la suite j'ai perdu le contact avec I. J'ai su plus tard qu'elle s'était établi avec un ami d'enfance, un de ceux-là mêmes qui, il y a vingt ans, tournaient autour de ma moto...

Il y a environ deux ans je rencontre par hasard son conjoint. En lui causant je lui apprends que j'ai un ordi et que je suis connecté à l'internet. Comme lui aussi a un ordi et qu'il est branché on s'échange nos numéros d'ICQ et c'est ainsi que j'ai pu reprendre contact avec I. après plusieurs années de silence.